Guerre ouverte sur les murs de Paris

Publié le par Gabe

   
Panneau de tôle ondulée couvert d'affiches publicitaires déchirées
 
Alors que Paris doit se doter de règles plus restrictives sur l'affichage, les professionnels craignent de faire les frais du contexte pré-municipales.

Une étape décisive a été franchie mercredi avec le passage devant la Commission des sites. Le texte doit désormais être voté le 17 décembre.

                         

C'est une lutte acharnée et quasi-silencieuse. Elle a pour cadre les murs et les rues de Paris, et vient de franchir une étape cruciale. Quoi de commun, a priori, entre des élus parisiens, des groupes écologistes et des sociétés d'affichage comme JC Decaux ? Première réponse : le projet Vélib', bien sûr. Mais au-delà se profile tout le problème de la publicité en milieu urbain - secteur à circonscrire pour les uns, marché convoité pour les autres. Avec une sensibilité exacerbée à Paris, ville capitale et vitrine à vocation internationale. "L'espace public est rare et cher", note Charlotte Nenner, élue Verts de Paris et spécialisée dans les questions d'affichage ; "et le fait que les discussions concernent Paris renforce ces enjeux".

Une phase de cette lutte s'était jouée avec le déploiement du projet Vélib'. Une autre se joue en ce moment même. Il s'agit de la révision du règlement local de publicité (RLP). La loi donne une large latitude aux municipalités pour réglementer le nombre et la disposition des panneaux, ainsi que pour définir les zones "ouvertes" (dites "zones de publicité élargie") ou à protéger. A Paris, la révision du RLP, prévue depuis des années, est en cours. Un projet de restriction drastique du nombre d'emplacements (-20%) et de la taille des panneaux (avec la disparition programmée des plus grandes tailles, les "4x3") a été présenté ce mercredi à la Commission des sites, qui se réunit sous l'autorité du Préfet de Paris. Résultat sans appel pour ce vote : 16 pour, 6 contre, 2 abstentions - et "des débats très animés", selon Charlotte Nenner. Prochain rendez-vous le 17 décembre, et conclusion prévue avec l'adoption du texte par le Conseil de Paris.

Paris très en retard sur Londres


"...matraqués
avec une centaine
d'amendements
déposés au
dernier moment..."

 
Cette baisse de la place de la publicité ne serait pour Paris qu'un rattrapage par rapport à des métropoles comme Londres, où l'affichage, pourtant moins présent, subit aussi des restrictions croissantes. Par ailleurs, l'apparition de nouveaux supports (comme les fameuses Mercedes Smart louées par la société Upkin à des tarifs défiant toute concurrence... grâce à la publicité sur leur carrosserie) a disséminé un peu plus l'affichage dans Paris. Charlotte Nenner cite de nombreux témoignages de citadins qui se disent agressés par l'invasion de la publicité ; elle invoque "la sensibilité croissante des Parisiens à la qualité  de vie et à l'environnement". Mais les afficheurs s'inquiètent des conséquences financières du projet : s'il passe, ils auront deux ans pour s'adapter et devront transformer entre la moitié et les deux-tiers de leur mobilier urbain. Chez JC Decaux, la réticence à communiquer est manifeste et l'on renvoie directement vers l'Union de la publicité extérieure (UPE), qui a participé aux négociations. Le président de l'UPE, Stéphane Dottelonde, crie pour sa part au coup de poignard dans le dos.

Le texte présenté ce mercredi à la Commission des sites avait été voté peu auparavant par un groupe de travail où siègent élus, associations comme Paysages de France, et professionnels représentés par l'UPE. Or, s'indigne Stéphane Dottelonde, "le groupe de travail existe depuis 2003 et tout s'est joué en une seule séance. D'un seul coup, on nous a matraqués avec une centaine d'amendements, déposés au dernier moment, et l'on se retrouve avec un projet extrêmement restrictif. Tout s'était bien passé avec le projet Vélib', tout le monde se félicitait du financement par la publicité... Et voilà qu'on nous assène que les panneaux grand format vont devoir disparaître d'ici 2017, au terme de la concession. Pour l'opérateur JC Decaux, ce n'est pas très loyal".

"Qu'on ne me dise pas qu'il y a eu un débat démocratique"

Pierre-Jean Delahousse, président de l'association Paysages de France, réplique que le fameux groupe de travail est resté en sommeil deux ans... Il y avait donc du retard à rattraper. Quant à Charlotte Nenner, elle s'amuse : "La disparition des 4x3, c'est une de nos plus vieilles revendications. Que les afficheurs ne viennent pas nous dire qu'ils la découvrent au dernier moment". Quid de la concession Vélib' ? "Personnellement, glisse Charlotte Nenner, je n'ai jamais été favorable à ce financement. Pourtant, ce projet était si important pour les Verts de Paris qu'ils l'ont voté en l'état. Mais nous avions plutôt le sentiment d'être mis devant le fait accompli..." Un prêté pour un rendu, en quelque sorte. Et pas de larmes pour l'opérateur.

"Je pense que
Delanoë ne doit
pas être très
à l'aise avec ça"

 
Là où partisans et adversaires de la publicité se retrouvent, c'est pour dénoncer les lacunes de la loi, en grande partie responsables de l'affrontement. Du côté des élus hostiles à l'affichage, on fustige l'absurdité de la procédure de "déclaration préalable" pour tout nouvel emplacement : si un panneau d'affichage est illégal, mais que l'administration ne vient pas le constater dans les deux mois, il sera considéré comme accepté. Du côté des afficheurs, on souligne les faiblesses de rédaction de la loi de 1979 sur l'affichage, et l'oubli du micro-affichage - les affichettes apposées dans des cadres sur les vitrines des cafés et boutiques, ce qui représente à Paris la bagatelle de 6000 bailleurs. La loi a posé le principe général de leur interdiction, laissant toute latitude aux municipalités pour les réglementer. Les fameuses affichettes vont-elles simplement disparaître à Paris ? "Ce serait vraiment une première, note Stéphane Dottelonde. Il y aurait un effet d'éviction dont l'affichage culturel serait le premier à pâtir. Et en cas de recours devant le Conseil d'Etat, je ne suis pas sûr que ce serait validé".

Mais outre la loi, le calendrier du projet de révision n'est pas neutre. A l'évidence, l'approche des municipales a joué. D'où cette réunion tenue dans l'urgence et l'adoption de multiples amendements qui ont laissé les afficheurs étourdis. "Nous avions des contacts avec la Ville de Paris, et j'avais cru comprendre qu'ils avaient non seulement le souci de protéger l'environnement, mais aussi celui de préserver le dynamisme économique. D'un seul coup, tout ceci n'existe plus", s'offusque Stéphane Dottelonde. "Il y a un contexte pré-électoral, je le constate, je n'ai pas à m'en mêler. Mais je pense que Delanoë, lui-même ancien publicitaire, ne doit pas être très à l'aise avec ça. Et la façon dont les choses se sont passées a ébranlé certains conseillers municipaux, de la majorité comme de l'opposition. Qu'on ne me dise pas qu'il y a eu un débat démocratique et transparent. Même la Chambre de commerce de Paris a protesté".

Publié dans Publicité (anti)

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article